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DROITS DE LA DEFENSE ET POURSUITES DES CRIMES CONTRE L'HUMANITE |
FAIR PLAY 22 novembre 1998 |
Avant toute chose et comme vous pourrez le constater par vous-mêmes, l'Association Internationale des Avocats de la Défense, loin de déclencher quelque foudre contre mes critiques,
a tenu à jouer le jeu en y répondant. Dans un monde souvent violent et mesquin, cette attitude ne peut qu'être saluée... Mais de surcroît, et je viens seulement de m'en apercevoir, cette Association
a placé cette page dans sa rubrique "Sites
d'intérêt", renvoyant volontairement les visiteurs de son site à des critiques qui ont été émises contre elle.
Patrice Despretz
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Critique communiquée le 20 décembre 1997 au responsable du site concerné pour qu'il puisse la commenter. Réponse reçue le 22 décembre 1997 (cf plus bas) |
The core goal : A full, fair and well-organized defence in the proceedings of the ad hoc tribunals and the future International Criminal Court.
- Pour cela, cette Association vise, je cite toujours, à organiser la formation et à garantir les plus hautes normes de qualification de ses membres,
et ce, afin de permettre à la communauté internationale de bénéficier de la qualité et de la crédibilité du système canadien de justice. (Cf Objectifs)
L'Association souligne à très juste titre que, s'il ne garantit pas aux prévenus une défense pleine et entière, nul tribunal ne peut prétendre assurer l'équité du processus.
Elle rappelle en effet qu'un tel système ne peut fonctionner qu'en présence d'adversaires - poursuite/défense - de force égale tant sur le plan de l'organisation que de la compétence et de l'expérience. (Cf Document de travail)
Le problème est que cette Association, qui évoque le principe d'équité, ne parle pourtant pas de mettre les compétences de ses membres au service des victimes, ni même de former les avocats en vue de la défense des droits des victimes (si tant est qu'elles soient vivantes...) !
Ces victimes mériteraient-elles moins d'égards ?
Cette Association semble confondre Equité et Egalité. L'égalité impose que l'on accorde exactement le même traitement aux deux parties.
Un traitement qui se prétend équitable suppose en revanche que l'on prenne en considération les souffrances inhumaines de la victime, sachant que l'inculpé n'y perdra tout au plus que sa réputation et un peu d'argent.
Mettre sur un pied d'égalité une personne suspectée de crime contre l'humanité et la victime d'un tel crime, c'est perpétuer une bien plus atroce injustice que celle dénoncée par cette Association.
Patrice Despretz
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Réponse de Human Rights Internet datée du 22 décembre 1997 |
Monsieur Patrice Despretz,
Ci-après notre réponse à votre critique à propos des buts poursuivis par l'Association internationale des avocats de la défense (AIAD) - International Criminal Defence Attorneys Association (ICDAA), dont le site est hébergé par notre organisation. Internet des droits humains est profondément préoccupé par les souffrances et les injustices subies par les victimes des violations des droits fondamentaux. Nous souhaitons, à l'instar de la communauté internationale, que les auteurs de ces violations soient traduits devant les tribunaux compétents et soient jugés et punis en conséquence de leurs actes. Nous croyons cependant que de tels objectifs, si louables qu'ils soient, ne peuvent servir à justifier que soient bafoués d'autres droits, aussi fondamentaux que ceux des victimes dont il est question. Le droit de tout inculpé à bénéficier d'une défense pleine et entière est l'un des principes qui constituent l'essence des droits et libertés fondamentales reconnus par la communauté internationale. La présomption d'innocence fait également partie de ces principes de base. (1) Même devant une inculpation de crime contre l'humanité; parler d'équité en invoquant la possibilité de dénier ces droits, c'est d'abord poser les gestes pour lesquels on accuse; parler d'équité en suggérant un jugement avant procès, c'est ensuite dénaturer la notion même de ce principe.
Laurie S. Wiseberg
___________________________ (1) Déclaration universelle des droits de l'homme. Adoptée et proclamée par l'Assemblée générale dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948
Préambule
Pacte international relatif aux droits civils et politiques Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966. Entrée en vigueur: le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49
Article 14
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Conclusion personnelle |
Il est certes hors de question que la poursuite des responsables de crimes contre l'humanité
serve à justifier que soient bafoués les droits des inculpés.
En outre, si j'ai effectivement parlé d'équité, je ne vois pas où j'ai suggéré qu'il y ait jugement avant procès, ni parlé de dénier les droits des inculpés,
comme vous semblez le laisser entendre ! C'est inadmissible.
Je me permets de rappeller qu'on parle de dizaines de millions de victimes de crimes contre l'humanité,
pendant que vous vous insurgez contre des soi-disant jugements avant procès qui n'ont même pas lieu.
Il suffit de connaître les règles de procédure des Tribunaux internationaux pour voir que toutes les précautions
ont été prises pour éviter de condamner un innocent !
Combien de victimes ?
Patrice Despretz
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Courrier reçu le 15 février 1998 de Ronald P. Picard, avocat Membre fondateur de l'AIAD |
Monsieur Patrice Despretz,
Votre «carton rouge» a le mérite de provoquer un débat de fond auquel on ne saurait se soustraire, même s'il risque d'animer des échanges «musclés». Dans un premier temps, nous ne saurions décemment concourir à la concession ou à l'accommodement que vous semblez disposé à accepter en affirmant que : «Le respect que l'on doit à la victime d'un crime contre l'humanité ne mérite-t-il pas d'engendrer une petite injustice envers un inculpé qui est peut-être, ne le perdons pas de vue, coupable du crime le plus odieux ? Et quand bien même l'inculpé serait reconnu innocent de ce crime, les torts subis par lui resteraient toujours sans commune mesure avec ceux que la victime a subis. Cela n'en vaut-il pas la peine ?» Eh non ! Cela n'en vaut pas la peine. Cela n'en vaudra jamais la peine. Quelle est cette justice que vous voudriez modeler à même la gangrène de l'injustice, si petite soit-elle ? Celle, je vous le suggère, du despotisme dit «éclairé» et de tous ces autres avatars de justice qu'on a édulcorés de bonne foi mais qui se sont au fil des ans prêtés de bonne grâce aux régimes fascistes et totalitaires. La justice est absolue ou elle n'est rien. Et personne n'a le droit de choisir en faveur de qui, de la victime ou du prévenu, on l'appliquera sans compromis. La présomption d'innocence, il est vrai, a de quoi faire frémir. Nous préférons cependant qu'on la dénonce sans ambages au lieu que de tenter de la circonvenir ou de la vampiriser. Un «prévenu» cesse-t-il pour autant d'en être un parce qu'on l'accuse du crime le plus odieux qui soit et qu'il en est peut-être coupable ? Allons ! Jusqu'où cette vision élastique de la justice nous conduira-t-elle ? À des bourreaux et à des tortionnaires qui allégueront, à leur tour, que les victimes méritaient peut-être le sort qui leur fut dévolu... Nous sommes fort conscients que notre association n'a pas choisi de remplir une tâche à première vue sympathique. Au-delà de ces apparences cependant, nous sommes convaincus qu'il ne manquera pas d'avocats compétents pour garantir aux victimes de crimes contre l'humanité les droits que dans le passé on leur a si outrageusement déniés. Nous sommes persuadés, en outre, qu'on ne devrait ménager aucun effort, fût-il politique ou économique, pour s'assurer que tous ceux qui ont, du haut de leur superbe, ravalé la vie humaine au niveau d'un déchet immonde seront traduits en justice, jugés sans complaisance et châtiés en conséquence. C'est pour prévenir tout dérapage, même toléré de bonne foi, que l'AIAD croit indispensable cependant de mettre à la disposition des prévenus des avocats dont le devoir est d'éviter que derrière l'avidité de rendre justice ne se camoufle l'hydre de l'injustice caméléonesque. Il est inévitable que l'optique de l'AIAD suscite une certaine controverse. Nous sommes prêts à en débattre.
Ronald P. Picard, avocat
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Réponse envoyée le 15 février 1998 |
Cher Maître,
Je vous remercie de votre contribution qui témoigne de votre intérêt pour mes remarques personnelles, d'autant plus que vous soulignez à juste titre les dérives auxquelles peut conduire une interprétation simpliste et rapide de mes paroles. A moi donc de mieux les préciser : Lorsque je parle avec provocation d'une petite injustice envers un inculpé, présumé innocent, je le fais dans le contexte où l'on considère qu'une injustice sera commise (ce que nous voulons tous éviter). Dans cette hypothèse, et seulement dans cette hypothèse, alors je préfère et c'est ce que j'ai voulu dire, qu'elle se fasse à l'encontre de l'inculpé, peut-être coupable d'un crime odieux, plutôt qu'à l'encontre d'une personne qui est déjà une victime. Il est bien entendu évident que je préfèrerais qu'aucune injustice ne soit commise. J'attire juste l'attention sur les dérives potentielles et paradoxales auxquelles pourrait aboutir une défense trop acharnée ou trop aveugle. Je reste persuadé que telle n'est pas votre intention et que vous avez suffisamment ces risques à l'esprit pour ne pas tomber dans un piège qui conduirait à traiter un inculpé au détriment de la victime. Si tout inculpé à certains droits que nous devons affirmer, et vous avez entièrement raison, je reste persuadé que cette affirmation ne peut et ne doit se concevoir au détriment de la victime. Patrice Despretz |
Mail reçu le 20 août 1998 d'Emmanuel DAILLET, co-président de l'association "Zone de sécurité". |
La discussion aurait sans doute gagné à s'illustrer de cas concrets. Et, avant même de s'interroger sur le point de savoir si les droits de la défense
doivent être "absolument" respectés, il serait bon d'étudier les problèmes dans l'ordre logique, temporel, d'une procédure judiciaire.
1/ Pour le lancement des poursuites, si l'on prend le cas des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, on sait que le Procureur a
le monopole de l'initiative. Les plaignants - ils sont certes nombreux ! - ne disposent du droit de demander à une quelconque autorité publique ni
l'ouverture d'une enquête, ni même celle d'une information. A l'évidence, les droits des victimes sont ici amoindris, et ceux de la défense ne sont pas
touchés, dès lors que les présumés responsables ne font l'objet d'aucune procédure. Notons pour conclure sur ce point qu'une effrayante quantité de
criminels internationaux notoires, déclarés (et fiers de leurs actions), tels Vojislav Seselj (aujourd'hui vice-premier ministre de Serbie et toujours
président du parti radical serbe) ou Mate Boban (ex-leader des Croates d'Herzégovine) ne font l'objet d'aucune inculpation de la part du Procureur
Mme Arbour. On pourrait aisément allonger la liste des présumés responsables encore et toujours non seulement impunis mais non poursuivis.
2/ L'instruction: là encore, le plaignant de droit international - et si, aux yeux du magistrat instructeur, sa plainte comporte des éléments suffisamment
véridiques pour justifier l'ouverture d'une instruction - assiste aujourd'hui à un bien étrange spectacle. Durant des années, son dossier fait l'objet d'une
compilation de rapports; puis le présumé responsable fait l'objet d'une demande d'arrestation; mais celle-ci n'est pas suivie d'effet. Dans le dossier
du massacre de Srebrenica, il est patent que les droits de la défense sont plus que respectés puisque ni M. Mladic ni M. Karadjic, inculpés depuis
novembre 1995 par le TPIY pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, ne sont inquiétés par le contingent français de la police
internationale déployées par les accords de Dayton sous l'autorité de l'OHR. Seconde conclusion: les victimes doivent assurer elles-mêmes l'arrestation des
présumés responsables.
3/ La coopération des Etats à l'instruction: les lois nationales d'adaptation aux statuts des TPIY ont brillé par leur franchise.
Concrètement, tous les Etats ont pris la précaution d'éviter de s'engager à la poursuite hors de leurs frontières des présumés responsables de crimes
internationaux qu'ils se sont pourtant engagés à poursuivre (depuis 1948 pour le crime de génocide, depuis 1949 pour les crimes de guerre, et, en outre,
depuis février 1994, date d'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU du statut du TPIY, pour les crimes de guerre commis après 1991 en ex-Yougoslavie;
idem pour le Rwanda pour le génocide commis à partir d'avril 1994). S'agissant de la France, par la loi du 2 janvier 1995, la France autorise le juge
français à ouvrir une information "si les auteurs sont trouvés en France". C'est clair. Les réfugiés en France victimes des crimes internationaux
poursuivis par les TPIY et TPIR doivent "trouver" eux-mêmes leurs bourreaux, peut-être surgir dans l'aire d'attente d'un aéroport français, solliciter
immédiatement la police française, et, très probablement, revoir partir les présumés responsables couverts par des passeports diplomatiques.
4/ Le déroulement du procès: il est proprement effarant de contempler la masse de paperasse que produisent les deux TPI, en particulier s'agissant des requêtes
innombrables formulées par les présumés responsables de génocide; il faut inviter tous les citoyens intéressés à visiter le site Internet du TPIY pour
qu'ils puissent constater par eux-mêmes que les droits des présumés responsables des crimes internationaux sont longuement discutés, pris en
compte. Concrètement, la situation est la suivante s'agissant des victimes du camp serbe de Prijedor, où les pires exactions et des meurtres par dizaines
ont été commis contre les non-Serbes. Depuis 1992 (nous sommes en 1998), le premier et seul résultat de la communauté internationale est l'arrestation de
l'un des organisateurs locaux du plan de conquête territoriale mené depuis Belgrade. Cet homme a été arrêté sur l'intervention musclée d'un commando
britannique. Eh bien ! A quoi assiste-t-on depuis ? Aux massacres du Kossovo. C'est dire toute la valeur dissuasive du TPIY, dont l'efficacité est
inversement proportionnelle à la longueur des articles de son statut.
5/ Pas malentendu ni d'intox: il faut savoir que l'immense majorité des ONG et des citoyens qui ont l'occasion d'apprécier le travail du TPI critiquent la
bureaucratisation, la démotivation croissante du personnel. Pourtant, jamais il n'y eut autant d'engagement pour que justice soit faite. Tous saluèrent,
dès l'origine, le souci manifesté par les rédacteurs du statut des TPIYs en faveur des droits de la défense. Peut-être voulait-on faire de ces prototypes
des exemples supérieurs à celui du Tribunal de Nuremberg (mais, là encore, idée reçue: les nazis furent fort bien défendus, et le procès fut d'une
longueur à la limite du supportable pour tous ceux qui l'animèrent). Le résultat est là: nouveaux massacres au Kossovo et au Zaïre. Il serait temps
que les magistrats, les avocats réellement soucieux de justice et non seulement de droit, se confrontent aux victimes et répondent à une question
très simple: le droit, pour quoi faire ?
Emmanuel DAILLET
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